Jésus a en face de lui un légiste, un homme de loi, qui lui demande conseil pour être vraiment en règle avec la loi, la loi telle qu’il la connait, telle qu’il l’entend. Jésus lui répond dans le même registre législatif : La Loi ? Tu la connais ; que dit-elle ? Il répond en disant ce qu’il sait par cœur, mais le voici pris à contre pied. Avait-il jamais réfléchi au fondement même de la loi, à la clef de voute qui tient tout l’édifice, à l’amour de Dieu et du prochain ?
Le voici confronté à un autre savoir, bien au-delà du juridique. Ce qu’il attendait en venant à Jésus, ce n’était pas une réponse de ce genre, mais tout simplement s’il devait considérer un samaritain, juif lui aussi, mais de sang mêlé et de religion pas très orthodoxe, comme l’un des siens. Retenons déjà l’importance pour nous, quand nous lisons l’Écriture, de bien voir, comme dans la Loi, ce qui en est la source, celui qui nous parle, dans quel but, avec en mémoire des paroles comme celles-ci :
« ces signes vous ont été rapportés pour que vous croyiez
que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu,
et qu’en croyant vous ayez la vie en son nom » Jn 20/31,
ou bien :
« ces paroles sont esprit et vie… » Jn 6/63, etc…
Jésus va répondre, mais à sa manière habituelle,, si étroitement liée à sa propre culture, par une parabole, une sorte de miroir qui va lui permettre de se reconnaitre. La parabole qui suit nous la connaissons bien. A priori cet étranger ne fait pas partie des prochains. Il y a quinze jours l’évangile nous disait que les samaritains refusaient l’hospitalité à Jésus sous prétexte qu’il allait à Jérusalem. Pourtant c’est l’un d’eux qui vient au secours d’un homme qui fait visiblement partie de la tribu de Juda. Il va surmonter tout ce qui l’en sépare pour s’approcher, se faire proche de ce blessé.
La route de Jérusalem, Jésus la connaissait bien. Il l’avait parcourue souvent, depuis l’enfance, mais aujourd’hui, c’est la dernière fois. Il sait ce qui l’y attend. Cette route est aussi celle que nous parcourons tous. Jésus n’est pas accompagné seulement des apôtres, mais des disciples, des gens qui aiment l’écouter. Ils sont soixante douze, ce qui signifie la multitude. Ils sont envoyés pour aller devant lui, dans toutes les localités où lui-même devait aller. En vérité, c’est toujours lui qui nous précède, mais d’une façon que lui seul connait. En ce qui nous concerne, nous avons à annoncer son retour à des gens qui ignorent tout ou presque tout de lui.
En toute circonstance, nous avons à établir des liens, des liens amicaux, c’est pourquoi nous devons être porteurs de paix. Cette paix comporte la confiance, la sérénité, la certitude que la vie a toujours le dernier mot. Peut-être ceux que nous rencontrerons nous demanderont le secret de notre espérance. Nous aurons à le leur dire, mais toujours avec « douceur et respect » comme le recommande St Pierre (1 Pierre 3.15).
Les disciples doivent se présenter démunis « ni argent, ni sac, ni sandale » Pourquoi ? Parce que ce n’est pas sur un prestige matériel ou mondain qu’ils doivent compter. Accueillis, ils doivent se comporter comme des invités, même s’ils invitent les gens à sortir d’eux-mêmes. Ils ne peuvent y contraindre personne. Avant même de parler du Royaume, ils doivent offrir la fraternité et la paix.
Ce que demande Jésus quant à la guérison des malades doit être transposé, en les aidant, en leur faisant place dans notre emploi du temps, en allant les visiter.
« Chasser les démons » doit se traduire par prendre le dessus sur tout ce qui porte à la dépression, à l‘ennui, à l’engouement pour toutes les fuites de la réalité, à la volonté de puissance.
Il est assez facile aujourd’hui d’aller à Jérusalem. On y va comme à Lourdes en pèlerinage organisé. Il n’en est pas de même quand Jésus, à ce stade où nous en sommes de la lecture de saint Luc, prend la décision de s’y rendre.
Les disciples savent que, compte tenu de l’opposition grandissante à Jésus, ce sera difficile, plein de risques. Pierre veut même s’y opposer. Il a vu grandir la haine des pharisiens et des sadducéens. Lui-même, galiléen, n’est pas bien vu au sud, en Judée. Mais Jésus n’a qu’un but, accomplir la mission qu’il a reçue, si mal comprise ou même si étrangère soit elle aux yeux des hommes.
Et Luc nous détaille les obstacles rencontrés. Il y a ce village de samaritains qui refusent de leur ouvrir leur porte alors qu’on comptait sur leur hospitalité. La violence est sur le point d’éclater chez certains disciples. Mais les portes qui se ferment, Jésus les a connues dès sa naissance et ce n’est pas sa façon d’agir que de se laisser prendre par la violence. On passe outre.
Un peu plus loin, il y a ceux que Jésus appelle à le suivre. Tous ont de bonnes excuses pour ne pas bouger, à peu près les mêmes que nous entendons souvent autour de nous.
Mais rien n’entame la détermination de Jésus « Celui qui a mis la main à la charrue et qui regarde en arrière n’est pas digne du Royaume de Dieu » Nous pouvons voir cet itinéraire à la lumière de ce que S.Paul écrit dans Philippiens 2. Il montre la vie de Jésus comme une descente dans ce qu’il y a de plus bas dans l’humanité. Aux Philippiens qui veulent se faire plus importants les uns que les autres, qui se gonflent, il montre Jésus qui s’anéantit, se vide, perdant peu à peu ses appuis humains avant d’être « exalté à la droite du Père »
Nous pouvons aussi nous appliquer à nous même cet itinéraire de Jésus vers Jérusalem. Le voir comme celui qui vient à nous, avec la même volonté que sur la route de Jérusalem. Que va-t-il rencontrer au plus profond de nous-même, comme refus, plus ou moins violent, comme indifférence, comme fidélité ?